Fabrice Vert : « La justice amiable commence à devenir une réalité dans les juridictions »
Le Guide des bonnes pratiques de la justice amiable, publié aux éditions LGDJ, sort en librairie ce lundi 2 décembre. Rencontre avec son auteur, le magistrat Fabrice Vert, qui livre dans cet ouvrage le fruit de 35 ans d’expérience professionnelle.
Fabrice Vert, magistrat, auteur de « Justice amiable : guide des bonnes pratiques »
Actu-Juridique : Vous faites partie des pionniers dans la magistrature à vous être intéressé à la justice amiable, puis vous avez joué un rôle très actif ces dernières années pour en assurer la promotion alors qu’Éric Dupond-Moretti déployait un nouveau cadre en vue d’en généraliser l’usage. Pourquoi publier un ouvrage sur le sujet aujourd’hui ?
Fabrice Vert: J’ai, en effet, accompagné la mise en œuvre de ce nouveau cadre, notamment en publiant de nombreux articles sur le sujet pour en assurer la promotion et faire de la pédagogie.
La justice amiable, après un long cheminement, commence à devenir une réalité dans les juridictions, depuis notamment le lancement le 13 janvier 2023 d’une politique nationale de l’amiable au ministère de la Justice. Suite à la recodification des modes amiables cet été par le décret du 18 juillet 2025, le moment m’est paru opportun de publier ce guide qui se veut essentiellement pragmatique pour accompagner tous les acteurs concernés dans ce que le journal Le Monde a appelé, dans un article récent, « la révolution silencieuse de l’amiable ». Une révolution qui ne va pas sans quelques soubresauts…C’est enthousiasmant de participer à ce changement de paradigme dans l’office du juge, mais aussi dans celui de l’avocat.
Actu-Juridique : Que recouvre exactement l’expression « justice amiable » ?
FV : A priori, « justice amiable » peut apparaitre comme un oxymore. Mais c’est oublier, comme le disait Paul Ricoeur, que si la fonction première du juge est de trancher le litige, la finalité longue de l’acte de juger est de contribuer à la paix sociale. Et dans l’objectif de cette finalité, l’office amiable du juge, mais aussi de l’avocat, longtemps méconnu, apparait essentiel. Comme nous l’enseigne le professeur Cadiet depuis des années, l’offre de justice est devenue plurielle. Les litiges ne doivent plus être résolus sur un modèle unique, mais plutôt faire l’objet de sur-mesure et les modes amiables y ont toute leur place.
Actu-Juridique : Quels sont les avantages de cette justice pour nos concitoyens ?
FV : L’intérêt des modes amiables de résolution des différends est de remettre au centre du procès le justiciable qui, ainsi, se réapproprie son litige. Cela permet de traiter l’entièreté du conflit, dans tous ses aspects, d’aider les parties à trouver une solution originale, équitable, mutuellement acceptable qui réponde à leurs besoins, au-delà de leurs positions juridiques, en préservant l’avenir et en favorisant, le cas échéant, le maintien de relations. C’est l’opportunité de trouver, dans un cadre confidentiel, une solution coconstruite et acceptée, qui sera beaucoup plus facilement exécutée.
Actu-Juridique : Comment abordez-vous ce sujet très vaste dans votre ouvrage ?
FV : Ce livre est le fruit de mes 35 années d’expérience de juge civiliste et commercialiste, dont 25 ans en première instance et 10 ans à la cour d’appel de Paris, étant précisé que je pratique les modes amiables depuis mon premier poste. Le Guide des bonnes pratiques sur la justice amiable est à jour des décrets de juillet 2025 qui ont réformé l’instruction conventionnelle et recodifié les modes amiables de résolution des différends. C’est un guide pratique détaillé qui analyse (en précisant leur nature et leur régime juridique) l’ensemble des mécanismes de la justice amiable :
– La conciliation par le juge et par le conciliateur de justice ;
– La médiation, judiciaire et conventionnelle ;
– L’audience de règlement amiable (ARA) ;
– La transaction ;
– La combinaison expertise et modes amiables.
Je l’ai conçu comme une boite à outils dédiés aux praticiens. Il contient de nombreuses trames (convention d’entrée en médiation, injonctions de rencontrer un médiateur ou un conciliateur de justice, convention de désignation d’un technicien, transaction, etc.) et est illustré de nombreux exemples concrets.
Actu-Juridique : D’où vous est venu cet intérêt pour la justice amiable ?
FV : Jeune juge, j’ignorais jusqu’à l’existence de l’article 21 du Code de procédure civile selon lequel il entre dans la mission du juge de concilier, dont je n’avais entendu parler ni à l’université, ni à l’École nationale de la magistrature, ni en stage en juridiction. C’est un avocat qui m’y a initié en 1990 au tribunal d’instance de La Châtre (Indre) aux modes amiables en me saisissant, dans un contentieux rural, d’une tentative de conciliation. En me rendant sur les lieux, j’ai réussi à concilier ces deux belligérants. C’est ainsi que j’ai pris l’habitude, dans les contentieux de bornages, de servitudes, ou encore de baux ruraux, de me déplacer pour essayer de concilier les plaignants.
Quelques années plus tard, comme juge au tribunal d’instance du 18ᵉ arrondissement de Paris, j’ai découvert les conciliateurs de justice que je faisais siéger à mes côtés et à qui je déléguais ma mission de concilier dans de nombreuses affaires de voisinage, de baux, et plus généralement, dans le contentieux de la vie quotidienne. Devenu juge à la chambre des successions au tribunal de Paris, j’ai commencé à désigner des médiateurs.
En 2008 et en 2010 à la cour d’appel de Paris j’ai été rapporteur des deux rapports Magendie sur la médiation, et les conciliateurs de justice, ce qui m’a permis de rencontrer de nombreux acteurs précurseurs impliqués dans le développement des modes aimables et de m’enrichir de leur incomparable expérience. Ensuite, je n’ai cessé dans toutes mes fonctions, en chambre commerciale ou immobilière à la cour d’appel de Paris, comme juge des référés à Créteil puis à Paris, et aujourd’hui au pôle obligations du tribunal judiciaire de Paris, de recourir aux modes amiables et c’est avec enthousiasme que j’ai retrouvé mon office conciliatoire en présidant des audiences de règlement amiable.
J’ai également exercé pendant 10 ans les fonctions de conseiller coordonnateur de l’activité des médiateurs et des conciliateurs de justice dans le ressort de cour d’appel de Paris qui a, très souvent a été piloté, en matière de pratiques amiables.
Actu-Juridique : Aujourd’hui, continuez-vous de pratiquer l’amiable ?
FV : Plus que jamais ! Je suis actuellement le référent médiation du tribunal judiciaire de Paris et je suis très heureux de participer à la mise en œuvre de la politique de l’amiable dans le plus grand tribunal d’Europe sous l’autorité du président Peimane Ghaleh-Marzban qui a rappelé lors de son audience de présentation que l’amiable ne devait pas être regardé comme un moyen de désengorger les tribunaux, mais comme un instrument qualitatif. Je le fais en partenariat avec mes collègues, mais aussi avec les avocats, les fonctionnaires, du greffe, les médiateurs, conciliateurs de justice et autres auxiliaires de justice. Ce développement des modes amiables dans les juridictions est une œuvre collective qui implique un changement de posture des juges et des avocats. Nous sommes passés au tribunal judiciaire de Paris, en l’espace de cinq ans, de 200 injonctions de rencontrer un médiateur à plus de 2 200 aujourd’hui.
J’ai pu aussi, en 2023, comme ambassadeur de l’amiable au ministère de la Justice et en tant que membre du Conseil national de la médiation, prêter mon modeste concours de juge de terrain, à la politique nationale de l’amiable initiée le 13 janvier 2023.
Actu-Juridique : Il semble que l’on assiste à un regain d’intérêt pour les modes alternatifs de règlement des litiges. Pourquoi, selon vous ?
FV : La justice civile traverse une crise systémique que plusieurs rapports récents mettent en exergue (rapport Sauvé*, rapport de l’Inspection générale de la justice, rapport de l’ENM**). Les délais de traitement ne cessent de s’allonger, la procédure et le fond du droit deviennent de plus en plus complexes, la masse des dossiers à traiter réduit le temps consacré à chaque dossier. Ce qui fait que la justice civile, souvent devenue une variable d’ajustement, fait l’objet d’une crise de vocation sans précèdent.
Aussi, la justice amiable, en particulier depuis la création de l’audience de règlement amiable, suscite un intérêt grandissant de la part de nombreux acteurs judiciaires. Dans le cadre de cette justice, le temps de parole accordé aux parties et aux avocats est plus important. C’est un moment d’humanité dans des procédures parfois kafkaïennes, comme le disait le premier président Pierre Drai. Nos concitoyens ne s’y trompent, eux qui, selon un sondage commandé par la commission des lois du Sénat, plébiscitent à plus de 90% le développement de la médiation et de la conciliation.
Actu-Juridique : Quel avenir prédisez-vous à la justice amiable dans notre pays ?
FV : le décret du 18 juillet 2025 ouvre une nouvelle ère de l’amiable en instaurant un principe directeur du procès de coopération aux termes duquel le juge décide avec les parties et leurs conseils du mode de résolution du litige le plus adapté à leur situation. Il est essentiel que les acteurs judiciaires s’emparent des outils de l’amiable en se formant. Ce livre a vocation à les y aider à s’approprier les outils pour répondre à la demande de justice exprimée par nos concitoyens. On en est encore loin, selon le dernier rapport sur le sujet, seulement 1% des affaires font l’objet d’une mesure de médiation tandis qu’on rend chaque année 1,9 million de décisions en matière civile et commerciale. Le risque, si les acteurs judiciaires ne s’approprient pas ces outils, c’est de voir le législateur, comme en Italie depuis 2010 et en Espagne depuis avril 2025, étendre la médiation préalable obligatoire en matière civile et commerciale, ce qui, selon certains pionniers de l’amiable, serait contraire à l’essence même de la médiation, qui repose sur les principes de souplesse et de liberté. Mais comptons sur les jeunes générations de juges et d’avocats, pleines d’énergie et d’enthousiasme pour mettre en œuvre efficacement ce merveilleux outil de pacification sociale qu’est la justice amiable. Et sur les anciens pour apporter leur expérience et leur sagesse à cette œuvre pacificatrice.
Rapport « Les juridictions du XXIᵉ siècle » de D.Marshall 2013
*Le rapport des États généraux de la justice ( Rapport Sauvé ) 2023
**Rapport attractivité des fonctions civiles ENM
Fabrice Vert dédicacera son ouvrage le 17 décembre prochain, du 18h à 20h30 à la librairie LGDJ 20 rue Soufflot, Paris 5e.