Nausicaa
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pheacienne.bsky.social
Nausicaa
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"La meilleure philosophie, relativement au monde, est d'allier, à son égard, le sarcasme de la gaieté avec l'indulgence du mépris"
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13 - Jean Dubuffet , Avant-projet d’une conférence populaire sur la peinture, Prospectus et tous écrits suivants.
14 - Valéry Larbaud, Lettre d’Italie
15 - Bourdieu, Dans l’émission télévisée Vivre aujourd’hui du 14 janvier 1973
16 - Zola, L'Œuvre
9 - Charlotte Guichard, La signature dans le tableau aux XVIIe et XVIIIe siècles
10 - Bernard Lahire, Ceci n'est pas qu'un tableau
11- Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation
12 - Goethe, Poésie et vérité
5 - Max Weber, Économie et société. Les catégories de la sociologie
6 - Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse
7 - Platon, Ion
8 - Édouard Pommier, Comment l’art devient l’Art dans l’Italie de la Renaissance
1 - Bourdieu, L’invention de la vie d’artiste
2 - Arthur Schnitzler, Relations et solitudes
3 - Patrice Trigano, Europe 1, C'est arrivé cette semaine 02/11/2024
4 - Durkheim, Cours sur les origines de la vie religieuse
L’effondrement de la biodiversité et le réchauffement climatique suscitent en effet moins d’émoi que la profanation d’un tableau.
Or, comme l’écrivait Zola (16) : "Quand la terre claquera dans l'espace comme une noix sèche, nos œuvres n'ajouteront pas un atome à sa poussière."
Etant moi-même sujette au syndrome de Stendhal et croyant avec Dostoïevski que "la beauté sauvera le monde", il ne s’agit pas ici de dénigrer l’art, mais de rappeler son rôle social.
On peut s’agacer devant ces activistes, mais ils nous invitent à relativiser nos indignations.
L’œuvre d’art est devenue un objet de culte. L’artiste, un être à part.
Dire "Picasso, c’est nul" à un esthète, c’est comme dire « Dieu n’existe pas » à un croyant. C’est saper la construction symbolique sur laquelle repose son estime personnelle.
C’est un blasphème.
Il n’a pas désacralisé l’art, comme on le dit parfois, mais révélé le caractère sacrée de l’artiste, magicien social capable de transformer n’importe quoi en œuvre, de donner de la valeur à un objet quelconque, de transformer le plomb en or.
Duchamp, en faisant d’un urinoir une œuvre, a manifesté son pouvoir social en montrant qu’il pouvait donner de la valeur au plus vulgaire des objets. Seul un individu déjà reconnu comme artiste pouvait transmuer un urinoir. C’est une démonstration d’autorité.
L’art contemporain, sibyllin et élitiste, élimine les critères d’évaluation objectifs, la beauté, le travail, le sens, afin que la qualité de l’œuvre ne soit perceptible que par des experts, des initiés, des élus touchés par la grâce.
L’art devient une sorte de culte à mystères.
Reconnaître la valeur d’une œuvre d’art contemporain, c’est reconnaître l’autorité de ceux qui la désignent comme telle. C’est faire allégeance.
Dire "c’est de la merde" est une insubordination.
Ce n’est pas un jugement esthétique, c’est jugement politique.
L’œuvre représente la puissance symbolique de ceux qui ont le pouvoir de lui donner de la valeur. Argument d’autorité, pure magie sociale, arrogance des dominants qui ne s’encombrent plus de justifications. Le roi, sûr de son pouvoir, se montre nu.
La magie sociale est particulièrement visible dans l’art contemporain.
L’œuvre, dépouillée des qualités qui lui donnaient une légitimité, qualités esthétiques, qualités techniques, rareté… se présente, avec l’art contemporain, comme une simple manifestation d’un pouvoir.
L’aura d’une œuvre est le produit d’un travail collectif auquel participent les artistes, les galeristes, les mécènes, l’école, les musées, les critiques, les historiens, les collectionneurs, les gouvernements, les avocats, les scientifiques.
On ne fait pas la queue pour admirer la copie d’une toile de maître, aussi parfaite soit-elle. C’est moins la représentation qui est admirable que la valeur symbolique qu’on lui attribue.
La magie que produit un tableau de maître repose sur le long processus de sacralisation.
Si un tableau qui prenait le poussière dans un musée de province est soudain authentifié comme étant l’œuvre d’un grand maître, sa valeur, qui déplacera les foules et excitera les collectionneurs, ne sera pas esthétique, mais sociale.
C’est le nom qu’on admire, pas la toile.
Bourdieu (15) voyait dans le musée un nouveau lieu de culte et soulignait l’importance de sa fonction sociale dans nos sociétés.👇
"Il se peut même que, pour une postérité très reculée, le culte des saints et celui des grands artistes ne soient pas deux choses très différentes, dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’individus hors classe et supérieurs de la hiérarchie sociale" écrivait Valéry Larbaud (14).
Le silence qui règne dans les musées, l’autocontrôle des visiteurs (ne pas manger, se déplacer lentement, chuchoter), l’interdiction de toucher l’œuvre, participe au caractère sacré des musées que décrivait l’artiste Jean Dubuffet (13).👇
Le British Museum accueille ses premiers visiteurs en 1759, la Galerie des Offices à Florence en 1765, le Louvre en 1793, le Prado à Madrid en 1819.
Le musée est le lieu symbolique qui marque la séparation du sacré et du profane.
Goethe (12) notait sa proximité avec l’église.👇
Posséder matériellement ou maîtriser symboliquement, par la connaissance, des objets sacrés, c’est se sacraliser soi-même, s’éloigner du profane, afficher son supplément d’âme, justifier son importance sociale.
Aux XVIIIe et XIXe siècles les musées vont se développer.
Encore aujourd’hui, être cultivé, c’est savoir distinguer un Van Gogh d’un Monet, pas savoir distinguer les cèpes des girolles. C’est-à-dire montrer une forme de proximité avec le pouvoir et le sacré. Être de connivence avec le sublime.
L’homme supérieur est un esthète capable de reconnaître le génie d’une œuvre. C’est la qualité de son âme qu’il admire en admirant une œuvre. L’œuvre d’art devient un miroir social.
Comme le croit Schopenhauer (11), seule l’élite peut apprécier l’art👇
Pour que des œuvres soient admirées, il faut qu’un public soit préparé à les admirer. La culture artistique va s’imposer comme un élément central de l’éducation. Elle fait partie des qualités du parfait gentilhomme.
"Au cours de ce processus de valorisation, l’art a lui-même été utilisé comme un instrument de légitimation et de glorification des pouvoirs" écrit Bernard Lahire (10).
Il s’agit d’afficher sa puissance et de montrer sa noblesse en s’entourant d’objets sacralisés.