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Comment s’ouvrir à l’autre, se risquer à aimer, s’engager dans l’action sans s’y abîmer ? Clotilde Leguil poursuit l’exploration de nos “laboratoires intimes” dans son nouvel essai : “La Déprise” (Seuil, 2025). Elle nous expose sa démarche, entre littérature, philosophie, cinéma et psychanalyse.
Clotilde Leguil : “J’ai voulu redonner de la valeur à l’événement amoureux”
Comment s’ouvrir à l’autre, se risquer à aimer, s’engager dans l’action sans s’y abîmer ? Clotilde Leguil prend ces questions à bras-le-corps. Elle poursuit l…
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De la colère froide des Français
De la colère froide des Français hschlegel lun 13/10/2025 - 17:47 En savoir plus sur De la colère froide des Français « Tout le week-end, j’ai cherché le mot qui conviendrait le mieux pour désigner l’affect qui s’est emparé de la société française, tous camps et toutes classes confondus, face à la crise politique en cours. [CTA1] ➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite. En admettant que la “colère froide” soit un bon candidat, la question est alors de savoir si, à l’instar des colères du passé, celle-ci va pouvoir être confiée à ce que le philosophe Peter Sloterdijk appelle une “banque de la colère”. De ma boulangère – “et en plus, c’est avec notre argent qu’ils se livrent à ce pitoyable et interminable jeu de chaises musicales” – à ma femme – “on n’accepterait de personne dans la vie normale de jouer ainsi avec les nerfs de ses semblables” –, c’est un étrange sentiment qui règne dans la société française depuis la séquence ouverte par la démission surprise de Sébastien Lecornu, il y a une semaine, et sa reconduction, hier, autour d’un gouvernement à l’assise encore plus étroite et en sursis face à deux nouvelles motions de censure. D’abord l’incrédulité : en un peu plus d’une année, voilà le troisième gouvernement qui s’effondre sur lui-même faute d’avoir trouvé le moyen de former des compromis au sein d’un Parlement sans majorité et sous la pression d’un président de la République enclin à considérer qu’il pouvait faire plier la réalité politique à sa volonté. Au-delà des querelles d’egos et d’ambitions, qui sont le lot normal de la vie politique, c’est le sentiment dominant que les politiques sont devenus incapables d’articuler leurs ambitions personnelles aux enjeux du pays et du moment. Même si Sébastien Lecornu se présente, en rupture avec ce climat, comme un “moine soldat” motivé par le seul sens du “devoir”… Dans une France sans budget, en proie à une dette colossale et à une polarisation idéologique et sociale sans précédent, les acteurs politiques apparaissent comme de purs arrivistes au service de leurs intérêts et de leurs calculs à la petite semaine. En regard de la gravité des crises, la politique prend l’aspect d’un petit cénacle à l’intérieur de la société, inapte à lui procurer cette distance et cette hauteur qui lui permettraient de se déchiffrer et de se décider. Or ce décrochage de la vie politique, initié par la dissolution de l’Assemblée nationale, n’a cessé de s’aggraver depuis un an et demi. D’où la colère qui s’est saisie du corps social. Comment la qualifier ? Dans la Rhétorique, Aristote définit la colère comme “le désir douloureux de se venger publiquement d’un mépris manifesté publiquement à notre endroit ou à l’égard des nôtres, ce mépris n’étant pas justifié”. Si les Français ont le sentiment que leur destin est négligé et méprisé par les politiques, leur colère se distingue cependant de la forme active et véhémente à laquelle pensait Aristote, pour qui l’expression publique du courroux était déjà une manière de compenser le dommage subi. Or ce qui monte aujourd’hui chez les Français ressemble bien plus à une colère silencieuse, collectivement partagée, mais rentrée. À la différence de la colère classique, vengeresse, la colère française s’associe au sentiment tout aussi prégnant d’une impuissance collective, comme si les citoyens étaient devenus otages de querelles sur lesquelles ils n’ont pas de prise alors qu’elles les empêchent de vivre. Loin d’être éloquente et agissante, c’est donc une colère froide, mélange d’exaspération et de lassitude, de nervosité et de fatigue, de consternation et de détachement. Plus retenue que la haine, elle allie l’indifférence au sens du ridicule… “Quelle bande de clowns !”, entend-on de plus en plus. Reste à savoir si cette colère froide et retenue peut subsister longtemps sans se réchauffer et passer à l’action. Dans Colère et Temps (Libella-Maren Sell, 2007), le philosophe allemand Peter Sloterdijk proposait de penser la politique en termes “thymotiques” – de thymos, désignant en grec le cœur, les passions et les émotions. Dans cette perspective, il invitait à considérer les partis révolutionnaires du XXe siècle comme des “banques mondiale de la colère” dont la fonction avait été de collecter, placer et valoriser les colères dispersées dans le corps social en les échangeant contre des promesses d’action collective future. “La base de leur commerce, écrivait-il, est la promesse faite à leurs clients de déverser un profit thymotique sous forme d’une hausse du respect de soi et d’une capacité élargie à faire face à l’avenir s’ils renoncent au défoulement instantané de leur colère.” Depuis longtemps – c’est sans doute sa principale ambition –, Marine Le Pen a cherché à transformer le front de la haine et de la vengeance, créé par son père avec le FN, en une banque de la colère susceptible de prendre le pouvoir. Et c’est tout le sens de son attitude dans la crise actuelle. Si elle dénonce “un spectacle affligeant, désespérant et pathétique”, elle table sur le renoncement “au défoulement instantané de la colère” afin d’engranger, le temps venu, le maximum de dividendes politiques de ce précieux capital. Reste qu’elle n’a pas encore fait la démonstration qu’elle était capable de donner aux “avoirs en colère” une traduction sous la forme d’une politique qui “assurerait la hausse du respect de soi et une capacité élargie à faire face à l’avenir”, selon le schéma proposé par Sloterdijk. Sans compter que son accession au pouvoir pourrait provoquer la révolte de la France qui ne se se reconnaîtrait sans doute pas dans cette expression-là de la colère… C’est peut-être tout l’enjeu “thymo-politique” des mois à venir : à quelle banque politique les Français vont-ils vouloir confier leur froide colère ? » octobre 2025
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🗣 La prochaine “Fabrique des idées”, la série de masterclass de “Philosophie magazine”, se tiendra LUNDI 27 OCTOBRE À 18H30, en ligne et au Club de l’Étoile (Paris XVIIe), avec le philosophe sénégalais SOULEYMANE BACHIR DIAGNE !

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Lors d’un défilé militaire organisé à Pékin début septembre, Xi Jinping et Vladimir Poutine ont exprimé leur espoir de vivre jusqu’à 150 ans, voire d’atteindre l’immortalité. Rêve de dictateurs ? Pas seulement… car les philosophies chinoise et russe sont obsédées par cette question.
Xi Jinping et Poutine pour les siècles des siècles : la chronique de Michel Eltchaninoff
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Dans notre nouveau numéro consacré à l’engagement, nous avons demandé à cinq penseurs ce qu’ils feraient si le RN arrivait au pouvoir en 2027. La philosophe Catherine Malabou prône, elle, une “désertion active” faite d’entraide citoyenne et associative… inspirée de la tradition anarchiste.
Catherine Malabou : “Face à l'extrême droite, il est possible d’élaborer une certaine plasticité insurrectionnelle dans les marges du pouvoir”
Dans notre tout nouveau numéro consacré à l’engagement, nous avons demandé à cinq penseurs ce qu’ils et elles feraient si le Rassemblement national arrivait au…
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“Nouvelle Vague” : le mythe de la jeunesse www.philomag.com/articles/nou...
“Nouvelle Vague” : le mythe de la jeunesse
“Nouvelle Vague” : le mythe de la jeunesse hschlegel ven 10/10/2025 - 17:42 En savoir plus sur “Nouvelle Vague” : le mythe de la jeunesse Nouvelle Vague, le dernier film de Richard Linklater à l’affiche en ce moment, ne trompe pas son monde avec un tel titre. Il y est bien question de Godard, Seberg, Belmondo… et de toute la bande, en retraçant la genèse d’une petite révolution au cinéma : le tournage d’À bout de souffle. Pour Ariane Nicolas, le cinéaste réussit à proposer une mise en scène joueuse et rythmée, qui évoque la patte Godard sans tomber dans le pastiche. [CTA1]   Ce texte est extrait de notre newsletter hebdomadaire « Par ici la sortie » : trois recommandations culturelles, éclairées au prisme de la philosophie, chaque vendredi soir. Abonnez-vous, elle est gratuite !   « Ah, la jeunesse ! La grande affaire de Richard Linklater. Le réalisateur de Dazed and Confused, de la trilogie des Before (Sunrise, Midnight, Sunset) et de Everybody Wants Some filme à nouveau une bande de jeunes avec Nouvelle Vague, présenté au dernier Festival de Cannes. Et pas n’importe quelle bande : celle qui a tourné À bout de souffle, le premier long-métrage de Jean-Luc Godard (incarné ici par le remarquable Guillaume Marbeck). En 1959, Godard n’a que 28 ans mais se sent déjà vieux : “C’est trop tard”, se lamente-t-il devant la troupe des Cahiers du cinéma. Ses acolytes Truffaut, Rohmer ou Chabrol ont déjà sorti leurs premières œuvres. Lui, plus exigeant et crâne, attend son moment. Gauguin, qu’il cite, disait : “L’art, c’est soit du plagiat, soit la révolution.” Godard trouve un producteur, pique une idée dans le Nouveau Détective et fait enfin sa révolution. Vingt jours de tournage avec Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo, pas de scénario ni de prise de son directe, des acteurs déboussolés par un cinéaste parlant en aphorismes et qui fait ce qu’il veut. L’improvisation, seule méthode pour “saisir la réalité au hasard” ? Godard, qui filme un voleur en cavale, est lui-même un petit filou. S’il prétend rechercher la “spontanéité” et “l’inattendu”, son film fonce en sens inverse : les dialogues ont l’air artificiels, le son est rajouté en post-production, le montage est saccadé. Il veut incarner un nouveau présent mais vise surtout “l’immortalité”... Le titre choisi témoigne de ces paradoxes : jeune, son personnage est déjà à bout de souffle ! “Prouvons que le génie n’est pas un don mais l’issue qu’on invente dans les cas désespérés”, disait Sartre – cité aussi. Dans Nouvelle Vague, la jeunesse apparaît pour ce qu’elle est : un mythe élaboré en temps réel. Toute jeunesse s’invente et se déploie en fonction du mythe qu’elle entend (plus ou moins consciemment) devenir. Comme tout mythe, montre Linklater, la jeunesse est un mensonge. Mais un mensonge qui dit vrai. »   Nouvelle Vague, de Richard Linklater, avec Guillaume Marbeck, Zoey Deutch et Aubry Dullin. En salles. octobre 2025
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María Corina Machado : prix néolibérale de la paix www.philomag.com/articles/mar...
María Corina Machado : prix néolibérale de la paix
María Corina Machado : prix néolibérale de la paix hschlegel ven 10/10/2025 - 15:22 En savoir plus sur María Corina Machado : prix néolibérale de la paix Trump espérait le recevoir, mais c’est finalement la Vénézuélienne María Corina Machado qui s’est vu décerner le prestigieux prix Nobel de la paix pour son combat « en faveur d’une transition juste et pacifique de la dictature à la démocratie ». Portrait d’une dissidente qui bouscule les repères de la politique… et du Nobel.  [CTA2]   Selon le président du comité Nobel norvégien Jørgen Watne Frydnes, « María Corina Machado est l’un des exemples les plus extraordinaires de courage civique en Amérique latine ces derniers temps ». Née en 1967, fille d’un riche homme d’affaires à la tête d’une grande compagnie d’électricité et d’entreprises sidérurgiques, María Corina Machado est devenue, au fil des années, une oppposante acharnée au régime de Nicolás Maduro. Elle « a été une figure clé de l’unité au sein d’une opposition politique autrefois profondément divisée » ; en octobre 2023, elle remportait la primaire de l’opposition en vue de l’élection présidentielle, avant que sa candidature ne soit interdite. Dès lors, « Madame Machado a été contrainte de vivre dans la clandestinité. Malgré les graves menaces qui pèsent sur sa vie, elle est restée dans son pays, un choix qui a inspiré des millions de personnes ». L’héritage ambigu de Bolivar Elle est depuis surnommée la libertadora (« libératrice »), en référence au libertador Simón Bolívar, le père de l’indépendance des nations sud-américaines. Si l’héritage de ce dernier est également revendiqué par le camp adverse, qui voit en lui un symbole de la lutte contre l’impérialisme étranger, les convictions politiques de Bolívar se rapprochent davantage de celles de Machado que des politiques socialistes de Maduro et de son prédécesseur Hugo Chavez. Influencé par la philosophie des Lumière, BolÍvar était un partisan du libéralisme, critique du dirigisme économique. S’il fut tout particulièrement lecteur de Rousseau - parfois considéré comme une précurseur du socialisme -, il en retint surtout le « pouvoir des lois, plus puissant que celui du tyran, parce que plus inflexible », mais il se défiera des idées de participation directe du peuple au pouvoir politique. Du point de vue de Machado, le régime de Maduro emprunte à Bolívar ce qu’il y a de plus contestable et en rejette ce qu’il y a de meilleur : alors qu’il se présente comme un démocrate, Maduro n’a aucun respect pour la souveraineté populaire ; à la force de la loi, son régime autoritaire et policier a substitué le règne de l’arbitraire. Une opposante néolibérale À ce régime défaillant, qu’elle accuse d’avoir ruiné le pays, María Corina Machado oppose une « philosophie [qui] met l’accent sur la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice la presse libre et la protection des libertés civiles », écrit Alex Pierceman dans Maria Corina Machado and The Struggle for Democracy in Venezuela (« María Corina Machado et le combat pour la démocratie au Vénézuela »). Présentée comme une défenseur de la démocratie et de l’État de droit – elle avait déjà été récompensée du prix des droits de l’homme Václav-Havel en 2024 en tant que porte-voix des « aspirations claires du peuple vénézuélien à des élections libres et équitables, au respect des droits civils et politiques et à l’État de droit » –, Machado est avant tout une libérale ou, selon certains observateurs, une néolibérale. On ne s’en étonnera pas : l’Amérique du Sud a été l’un des premiers espaces d’expérimentation du néolibéralisme, sous la houlette des Chicago Boys. La philosophie de Machado « est enracinée dans les principes du capitalisme de libre marché, qu’elle considère comme le moyen le plus efficace de restaurer l’économie ébranlée du Vénézuela et d’améliorer la qualifie de vie de ses citoyens », résume Alex Pierceman. « Sa philosophie est fondée sur la croyance que les marchés, quand on leur permet de fonctionner librement, sont le mécanisme le plus efficace pour l’allocation des ressources et la génération de richesses. » Admiratrice de Javier Milei… et proche de partis d’extrême droite Plus qu’à Bolívar, c’est à l’ultra-libérale Margaret Thatcher, la « dame de fer » britannique, Première ministre de 1979 à 1990, qu’on la compare le plus souvent. Machado lui rendait hommage dans un tweet de 2013 : « Margaret Thatcher a eu le courage de défendre ses valeurs toute sa vie contre tous ceux qui s’opposaient à elle. » Elle ne cache pas son affection pour les autres grandes figures du néolibéralisme : la philosophe Ayn Rand et les économistes Ludwig von Mises et Milton Friedman. Dans un post hommage de 2019, elle écrivait : « Aujourd’hui, nous nous souvenons du lauréat du prix Nobel d’économie Milton Friedman à l’occasion de son 107e anniversaire, pour sa grande contribution à la liberté économique et à ses idées qui fonctionnent ! Il suffit de regarder ce qu’elles ont accompli au Royaume-Uni, au Chili et aux États-Unis, en créant de la richesse au bénéfice de la société dans son ensemble. » Autant de figures partageant à différents degrés un rejet de l’interventionnisme étatique et la promotion d’une liberté économique qui, si elle trouve à se coupler à la défense de la liberté politique dans certains contextes autoritaires dirigistes, finit souvent par buter à l’exigence démocratique. La poursuite des intérêts particuliers, dans son individualisme, se heurte aux contraintes de l’intérêt collectif. Le droit, garantie de la libre entreprise soustraite à l’emprise de l’État, peut vite devenir un « problème » dès lors que la loi, enracinée dans la souveraineté populaire, entend réguler, réglementer. Parmi ses contemporains, María Corina Machado a également salué la victoire de Javier Milei, et en août dernier, a remercié le président libertarien d’Argentine pour son « ferme soutien » pour « la liberté et la démocratie ». Que les deux trouvent à s’entendre face à un ennemi commun – le « régime narco-terroriste » de Maduro – ne fait évidemment pas de Machado une libertarienne sans concession. Mais sa philosophie s’inscrit, assurément, dans cette constellation de pensées plus ou moins radicales qui défendent d’abord, au nom de la liberté et de la démocratie, une libéralisation de l’économie. Comme Milei, Machado soutient le parti Vox, qui entend fédérer les droites radicales d’Espagne et d’Amérique latine – elle a été, en 2020, signataire de la charte de Madrid initiée par la formation politique. Bref, si Trump n’a pas remporté le Nobel de la paix, le prix a échu à une femme politique qui partage à certains égards sa vision du monde. octobre 2025
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“Keep calm and carry cash” : pourquoi faut-il toujours avoir 70€ en liquide à portée de main ? www.philomag.com/articles/kee...
“Keep calm and carry cash” : pourquoi faut-il toujours avoir 70€ en liquide à portée de main ?
“Keep calm and carry cash” : pourquoi faut-il toujours avoir 70€ en liquide à portée de main ? hschlegel ven 10/10/2025 - 12:00 En savoir plus sur “Keep calm and carry cash” : pourquoi faut-il toujours avoir 70€ en liquide à portée de main ? Dans sa dernière note, la Banque centrale européenne recommande à tous les citoyens européens d’avoir toujours chez eux 70 euros en espèces, de sorte à pouvoir faire face à une crise imprévue. À suivre La Philosophie de l’argent de Georg Simmel, ce conseil témoigne d’un recul de la confiance dans l’État. [CTA2]   « Keep calm and carry cash » (« Restez calme et conservez du liquide sur vous ») : un titre aux allures de western pour la dernière note de la Banque centrale européenne (BCE), publiée le 23 septembre 2025. Le texte incite les ménages à mettre de côté suffisamment d’argent liquide pour couvrir leurs besoins élémentaires pendant 48 à 72 heures en cas de force majeure, soit entre 70 et 100 €. Francesca Faella et Alejandro Zamora-Pérez, les deux économistes derrière ce rapport, tirent des leçons de quatre crises majeures qui ont émaillé le XXIe siècle en Europe : la crise grecque de 2015, la pandémie en 2020, la guerre en Ukraine en 2022 et le blackout qui a privé une partie de l’Espagne d’électricité en avril dernier. À chaque fois, le recours systématique et massif aux liquidités s’est avéré un levier individuel pour faire face à l’incertitude, ainsi qu’un formidable tampon pour ménager les échanges à l’échelle locale. Ils vont jusqu’à parler de l’argent en espèces comme d’une « roue de secours monétaire » : inutile dans la plupart des cas, mais essentielle en cas de choc systémique – cyberattaque, panne, crise bancaire. Bizarre, quand on sait que le refuge dans le cash est généralement un symptôme de défiance envers les institutions. Du métal précieux au bout de papier : une question de confiance Le philosophe allemand Georg Simmel (1858-1918) montre dans sa Philosophie de l’argent (1900) que le passage de l’argent-substance à l’argent-signe n’a pu s’effectuer que lorsque s’était établi un certain lien de confiance naturelle entre l’individu et la société. Lorsque l’État central n’était pas constitué et qu’aucune autorité ne garantissait la stabilité de la monnaie, les fonctions monétaires étaient remplies par un support qui avait en soi de la valeur (par exemple, de l’or ou un métal précieux). Cela limitait la création monétaire, tout en étant un gage de stabilité. Si les institutions étatiques font leur travail, nul besoin de se réfugier dans la matérialité – on peut se contenter de passer à la caisse les yeux fermés, puisque l’État garantit silencieusement tous mes achats. Pour Simmel, cette oscillation de l’abstraction vers la matière est significative : « L’argent ne devient véritablement tel que dans la mesure où la substance recule ». Autrement dit, la valeur monétaire s’établit quand l’attachement à la substance (le métal, la matérialité) s’efface ; mais revenir à insister sur la substance (au cash) révèle-il un retour de la défiance face à l’abstraction du crédit et aux promesses sociales de stabilité ? Pas de conclusion hâtive ! Que la BCE conseille aux citoyens de stocker quelques espèces revient donc à réintroduire discrètement de la matérialité, là où la confiance devait suffire. Pas sûr, cependant, que la BCE ait préparé un scénario de fin du monde. Elle s’est d’ailleurs engagée depuis quelques années à développer un euro numérique, qui assurerait la transition vers l’ère digitale tout en préservant la souveraineté stratégique de l’Europe. La prudence monétaire est ici une stratégie de robustesse low tech plutôt qu’un coup de tonnerre alarmant. octobre 2025
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László Krasznahorkai, un Nobel qui met l’apocalypse en question
László Krasznahorkai, un Nobel qui met l’apocalypse en question hschlegel ven 10/10/2025 - 10:14 En savoir plus sur László Krasznahorkai, un Nobel qui met l’apocalypse en question László Krasznahorkai a été couronné par l’académie Nobel le 9 octobre 2025, à 71 ans, pour son « son œuvre fascinante et visionnaire qui, au milieu de la terreur apocalyptique, réaffirme le pouvoir de l’art ». Philippe Garnier nous introduit à l’œuvre de cet écrivain hongrois qui, dans la veine de Kafka et de Thomas Bernhardt, se saisit des menaces en mode interrogatif.  [CTA2]   Qu’est-ce qu’une apocalypse ? Dans la langue courante, il s’agit d’une fin du monde violente, mais ce mot, dans son sens littéral, signifie aussi « dévoilement » ou « révélation ». Cette ambivalence, l’œuvre de László Krasznahorkai – couronné par le prix Nobel de littérature 2025 – la porte à son paroxysme. Dans La Mélancolie de la résistance, son deuxième roman publié en 1989, un malaise indéfinissable règne sur une petite ville de province hongroise. Chaos visible ou désintégration sournoise ? Dans le sillage de Franz Kafka et de Thomas Bernhardt, la menace, vécue par différents personnages, n’est jamais nommée, mais elle prend figure dans une baleine empaillée, exhibée par un cirque. Susan Sontag avait alors qualifié l’auteur de « maître de l’apocalypse ». Depuis, l’œuvre de Krasznahorkai n’a cessé de faire surgir des voix d’imprécateurs, de prophètes à la vie souvent insignifiante, annonçant quelque chose qui relève de la fin du sens plutôt que de la fin matérielle du monde. Cette noirceur, cet effacement de tout horizon, cette description asphyxiante de la « non-vie », atteignent sans doute leur point culminant avec Le baron Wenckheim est de retour, publié en français en 2023. “L’œuvre de Krasznahorkai est emplie d’imprécateurs, de prophètes à la vie souvent insignifiante, annonçant quelque chose qui relève de la fin du sens plutôt que de la fin matérielle du monde” Philippe Garnier   Mais à ce fil « apocalyptique » – au sens de la langue courante – se noue un autre fil, attentif au dévoilement, à la révélation. Ainsi, Seiobo est descendue sur terre, recueil de nouvelles paru en français en 2018, met en scène des guetteurs de sens, déçus mais obstinés. Un gardien du Louvre s’y sent inexplicablement lié à la Vénus de Milo. Il essuie les railleries de ses collègues et contemple toute sa vie cette œuvre issue d’un monde ancien, disloqué, effacé. Un restaurateur de sculptures japonais médite sur une statue du Bouddha endommagée et se demande comment lui rendre sa mystérieuse aura. Très longues mais scandées, se chargeant de souffle au lieu de s’épuiser en chemin, les phrases de Krasznahorkai portent à la perfection la recherche inlassable d’un sens non pas transcendant mais immanent au monde, qui ne se laisse entrevoir que pour mieux se dérober. C’est aussi de l’histoire – celle de la Hongrie, son pays natal où il est né en 1954, et au-delà, l’histoire de l’Europe – que se nourrit la pensée de l’écrivain. Dans un entretien avec Damien Marguet, publié par la revue Passés Futurs en 2020, l’écrivain compare la vérité des historiens à celle de l’art et de la religion. Il dit : “Ces trois approches intellectuelles parlent de ce combat, et non de la vérité. Vis-à-vis de ces trois formes d’expression, nous n’avons qu’une seule attitude à adopter : faire passer leurs messages du mode affirmatif au mode interrogatif. Pour chaque phrase de Bouddha, de Dante et d’Hérodote, nous devons remplacer le point final par un point d’interrogation” László Krasznahorkai, entretien avec Damien Marguet, à lire en intégralité sur le site de recherches en sciences sociales Politika.io (2020) Tel serait l’un des sens de cette œuvre à plusieurs visages : exorciser les cauchemars légués par l’histoire humaine, en déblayer les scories, pour faire place nette à une question – sans réponse, certes, mais rendue à sa pureté. octobre 2025
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Les deux nez du pouvoir www.philomag.com/articles/les...
Les deux nez du pouvoir
Les deux nez du pouvoir hschlegel jeu 09/10/2025 - 18:44 En savoir plus sur Les deux nez du pouvoir « Depuis dix jours, c’est l’hécatombe à la rédaction : nous sommes tous tombés malades, un à un. Les gorges se raclent, les morves dégoulinent, les éternuements tonitruent… et bien sûr, les nez se bouchent. Mais quel(s) nez ? [CTA1] ➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite. En étudiant la question, j’ai découvert la bipolarité des narines – une curiosité méconnue qui, me semble-t-il, pourrait nous aider à comprendre la congestion politique actuelle. “Nous ne possédons pas un, mais deux nez.” J’avoue avoir vécu une sorte d’épiphanie en lisant cette phrase dans un article du magazine The Atlantic, intitulé “Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le nez bouché”, alors que j’effectuais des recherches Google pour vérifier l’efficacité des pschitt d’eau de mer et autres placebos sur mes sinus encombrés. En effet, trop de gens ignorent que nos deux narines forment des organes indépendants, à l’instar des yeux ou des oreilles, arguait l’autrice de l’article. Nos deux “nez”, séparés par une cloison, ouvrent chacun sur un réseau de sinus, ces cavités nasales qui s’étendent des joues au front. Une indépendance qui vise sans doute à limiter les infections : nos narines ayant pour fonction de filtrer et d’humidifier l’air, elles ont intérêt à ne pas se contaminer l’une l’autre. Cette mise au point m’a permis de préciser ma petite phénoménologie du rhume. Contrairement à ce que l’on croit, nous n’avons pas “le nez bouché”. D’abord parce que nous avons deux nez, mais aussi parce que ce ne sont pas nos sécrétions qui bouchent cet organe imaginaire, mais le gonflement des muqueuses nasales. Celles-ci fonctionnent comme les tissus érectiles du pénis : elles gonflent et dégonflent régulièrement, en fonction de l’afflux de sang. Et – génie du corps humain – sachez que nos narines gonflent en alternance. Vous constaterez que lorsque vous êtes enrhumé, vous avez toujours une narine davantage bouchée que l’autre ; ce phénomène n’a rien à voir avec la quantité de mucus que vous croyez exhumer de votre appendice en vous mouchant frénétiquement, mais avec ce gonflement interne, accru par les allergies et infections, qui induit la sensation de nez bouché. C’est pourquoi il est inutile de gaspiller vos mouchoirs : expulser la morve ne résout en rien le problème. Ce n’est pas tout : ces jumeaux de “nez” travaillent toujours en alternance. Même en l’absence de rhume, nos narines communiquent pour se répartir le boulot et semblent fonctionner selon un cycle régulier. Tandis que l’une respire à pleins poumons, l’autre se gonfle, et ainsi de suite, toute la sainte journée. Pourquoi cette dualité ? Après tout, l’odorat n’a pas besoin de multiplier les points d’entrée de ses organes. Nous avons deux yeux pour faire la mise au point, deux oreilles pour entendre en stéréo… Certes, la nature adore la symétrie. Mais quel est l’intérêt d’avoir deux nez ? D’après les chercheurs, il semblerait que ce rythme favorise la régénération de chaque réseau, en stimulant son système immunitaire. À chaque fois que les tissus désenflent, les cavités libèrent des anticorps, ce qui leur permettrait d’assurer convenablement leur mission pendant que leurs confrères de l’autre côté se reposent. Étourdie par ces découvertes, le cerveau embué par le rhume, je me suis surprise à méditer sur ces mystères de la nature et à me demander quelle leçon nous pourrions bien tirer de ce système d’alternance d’érections nasales. S’il y a bien une chose qui frappe dans la situation politique actuelle, c’est l’échec cuisant de l’abolition du bipartisme dont avait rêvé le macronisme. À vouloir prétendre qu’on pouvait tout faire “en même temps”, en mobilisant simultanément les énergies de droite comme de gauche, n’a-t-on pas fini par épuiser les ressources et les capacités de régénération de nos forces politiques ? Il est facile de dénoncer le système des partis, ses oppositions frontales et son étanchéité maladive. Or peut-être avons-nous précisément besoin de cette bipolarité pour faire respirer notre corps politique. Certes, la France doit présenter un visage uni, trancher dans le vif, se donner un cap, notamment en matière de politique extérieure. Mais nous aurions tort de croire qu’il suffit d’un président pour avoir du nez, surtout lorsqu’une majorité de citoyens l’ont dans le pif. Lorsqu’on néglige la spécificité des deux camps, c’est l’ensemble du régime qui se congestionne. À quand le retour du bipartisme ? » octobre 2025
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“Une vie égale une vie” : un principe mis à mal au Proche-Orient
“Une vie égale une vie” : un principe mis à mal au Proche-Orient hschlegel jeu 09/10/2025 - 15:00 En savoir plus sur “Une vie égale une vie” : un principe mis à mal au Proche-Orient C’est une asymétrie qui est au centre de l’accord de cessez-le-feu venant d’être conclu entre le Hamas et Israël, sous l’égide de Donald Trump : les 47 otages israéliens restant vont être échangés contre près de 2 000 prisonniers palestiniens. Faut-il donc penser qu’une vie ne vaut pas une vie ? Tentative d’explication avec Judith Butler, George Orwell et Francis Wolff.  [CTA2]   Lors de son discours de reconnaissance de l’État palestinien, qui s’est tenu dans l’enceinte des Nations unies le lundi 22 septembre, Emmanuel Macron en appelait à conjurer « la possibilité d’un double standard », terme qui désignait en l’occurrence la façon dont les États occidentaux auraient tendance à traiter les morts civils différemment, selon leur nationalité, israélienne ou palestinienne, russe ou ukrainienne. Il répondait donc par cette formule de prime abord limpide – « une vie égale une vie ». Que signifie cette phrase, au fond ? Que veut-on dire, quand on place le signe « égal », entre deux « vies » ? Voici des pistes d’interprétation possibles. Une vie = une vie La formule « une vie égale une vie » peut d’abord vouloir dire « une vie = une vie ». Le mot « égal » employé dans cette phrase est alors considéré comme un terme strictement arithmétique. Si l’on considère que toutes les vies sont égales sur un plan mathématique, on doit compter les vies pour agir moralement. En suivant cette option éthique, on aura par exemple tendance à estimer qu’il vaut mieux tuer une personne, si cela nous permet d’en sauver cinq (en réponse au célèbre dilemme du tramway). Autrement dit, une vie ne peut valoir qu’une seule vie – jamais cinq. Cette interprétation de la formule se fonde sur une éthique dite conséquentialiste. Elle se focalise sur les conséquences des actions, non sur les actions elles-mêmes. Ce qui compte, dans le dilemme du tramway, ce n’est pas l’acte d’avoir tué quelqu’un, mais sa conséquence : avoir sauvé cinq autres personnes. L’égalité mathématique implique notamment de penser l’éventualité des « dommages collatéraux ». Dans son essai L’Influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine (2011), le philosophe Ruwen Ogien explique que ce cas correspond à ce que l’on appelle « la doctrine du double effet ». Si l’on en croit cette doctrine, les dommages collatéraux sont « moralement permis » dans la mesure où ils ne sont pas visés en premier lieu par les belligérants. Autrement dit, on peut tuer, si notre but était d’éliminer quelqu’un qui risquait de tuer encore plus de gens. Comme le souligne le philosophe, la doctrine du double effet nous oblige à trancher d’autres questions : par exemple, l’action de causer la mort vise-t-elle uniquement à « détourner une menace » ou en crée-t-elle une nouvelle ? Cette action est-elle « impersonnelle » (elle ne vise pas d’individus particuliers) ou « personnelle » ? Et enfin, la mort de ces personnes est-elle la conséquence tragique de la volonté de sauver plus de gens ou est-elle un moyen pour atteindre un autre objectif ? “Si la ‘valeur’ d’un prisonnier est inférieure à celle d’un otage, c’est que la prise d’otage met directement au défi l’État dans sa fonction de protection de ses ressortissants”   La notion même de « dommage collatéral » nous place aux limites de l’expression « une vie égale une vie ». D’un côté, elle confère un primat absolu à la question d’égalité. Dans un monde où il faut préserver chaque vie sur le plan numérique, il faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver le plus de vies possibles, qu’importent les moyens et les sacrifices que cela implique. D’un autre côté, « une vie égale une vie », formule (trop ?) simple peut dans certains contextes effacer toute nuance. En insistant sur l’égalité, on met l’accent sur une forme de réciprocité qui peut se rapprocher de la loi du talion (« œil pour œil, dent pour dent »). Si une vie « de mon camp » a été éliminée, je dois éliminer une vie de l’autre camp. L’égalité des vies annoncée comme but risque alors d’impliquer un « rééquilibrage numérique » sous forme de vengeance, qui ne va pas sans une forme de violence archaïque. Dans un conflit ancestral comme celui qui dévaste le Proche-Orient, l’usage de l’expression n’est pas hasardeux. Il nous renvoie à un monde ancien, à des règles ancestrales qui peuvent sembler paradoxalement contradictoires avec toute volonté pacifiste. Le risque de calculer les vies « Une vie égale une vie » peut ainsi devenir un moteur de guerre et se renverser en son contraire, légitimant les pires actes de barbarie. Le terme de « dommage collatéral » illustre l’idée selon laquelle les morts ne se valent jamais, ni dans les faits, ni dans les mentalités. En plus de réifier une personne (de la renvoyer à l’état d’objet), il réduit certains morts à des « maux nécessaires ». Comme l’explique Judith Butler dans son essai Ce qui fait une vie (La Découverte, 2010) : “Ceux que nous tuons ne sont ni tout à fait humains, ni tout à fait vivants, ce qui veut dire que nous ne ressentons ni la même horreur ni la même indignation devant la perte de leurs vies que devant la perte des vies qui entretenaient une similitude nationale ou religieuse avec la nôtre” Judith Butler, op. cit. Dans le monde présent – et particulièrement en temps de guerre – les vies ne se valent jamais. La guerre contribue à créer des « cadres » interprétatifs qui impliquent que certaines vies valent cher, et que d’autres ne valent rien, comme l’écrit encore Butler. “La guerre ou plutôt les guerres actuelles s’appuient tout en la perpétuant sur une manière de diviser les vies entre celles qui valent d’être défendues, valorisées et pleurées lorsqu’elles sont perdues, et celles qui ne sont pas tout à fait des vies, pas tout à fait valables, reconnaissables ou même ‘pleurables’” Judith Butler, ibid. Cette inégalité entre les vies s’observe ces derniers temps de façon très concrète : dans l’accord de cessez-le-feu qui vient d’être conclu entre le Hamas et Israël sous l’égide de Donald Trump, il est convenu d’échanger les 48 otages israéliens détenus par le Hamas (dont vingt seraient encore en vie) contre la libération de 250 prisonniers palestiniens purgeant des peines de réclusion à perpétuité, ainsi que 1 700 Gazaouis arrêtés après le 7 octobre 2023. Les chiffres sont éloquents : si l’on en croit cet accord présenté par le président des États-Unis, une vie d’Israélien vaut presque… deux mille vies de Palestiniens. Derrière cette dissymétrie arithmétique, il y a une différence de nationalité mais aussi de condition : en général, la vie ou la survie d’un otage captif de terroristes est censée être plus précaire et plus menacée – et donc objet d’une plus grande sollicitude – que celle des prisonniers d’un État, quels que soient les manquements dont celui-ci peut faire preuve à l’endroit de ceux-là. C’est que la prise d’otage met directement au défi l’État dans sa fonction de protection de ses ressortissants. Par conséquent, le statut – et donc la valeur – d’un otage pour un État n’est pas équivalent à celui d’un prisonnier, qui plus est si ce prisonnier est considéré comme étranger. “Si l’on considère que nous avons tous besoin les uns des autres, parce qu’une vie isolée est foncièrement précaire, alors en sauvant mon voisin, je sauve aussi ma propre vie. Nos vies sont égales, car identiques et interdépendantes”   Mais il existe d’autre manières de creuser des disparités objectives entre les existences, comme le critère de l’âge. Pour une compagnie d’assurances par exemple, un jeune en bonne santé sera considéré comme beaucoup plus rentable qu’une personne âgée à la santé fragile, qui devra donc payer plus cher. De même, si un médecin doit choisir entre le sauvetage d’une personne âgée ou celle d’un individu plus jeune, il aura tendance à choisir le second. Aux États-Unis, et comme le rappelle Mathias Delori dans son livre Ce que vaut une vie, l’inégalité concrète entre la valeur des vies s’est observée sur le plan économique au moment des attentats du 11-Septembre. Certaines familles ont reçu de la part de l’État américain des dédommagements financiers beaucoup plus importants que d’autres. Leur vie n’était pas chiffrée de la même manière.  Nos vies sont les mêmes Pour sortir de cette logique comptable parfois délétère et dangereuse, on peut donner un autre sens au mot « égal » : ne plus y voir un rapport d’égalité mathématique entre les vies, mais un rapport d’identité. Certes, nous n’avons pas la même vie. Nous vivons des choses différentes en des lieux variés. Mais le fait d’être en vie, et de se maintenir en vie : ce fait simple, brut, immédiat, est le même pour tous les êtres. Nous avons en commun la possession d’une vie. Et ce point commun nous rend particulièrement vulnérable. Nos vies, explique Butler, ont pour point commun d’être « précaires ». Autrement, une vie seule ne fait pas long feu. La vie qui se maintient en vie, c’est-à-dire la vie vivable, a besoin de tout un panel de conditions pour se maintenir. Et ces conditions ne peuvent être atteintes sans une intime solidarité. Nos vies sont précaires, vulnérables, sans cesse menacées. Tel est leur point commun, leur essence. Ce passage de l’égalité à l’identité entre les vies change notre manière de percevoir notre semblable. Je ne me contente pas de dire que ma vie a le même prix que celle d’un autre, j’affirme qu’elle est identique à celle de cet autre. Cela signifie que nous sommes dans le même bateau. Parce que ma vie est aussi précaire que celle de mon voisin, j’ai besoin de lui. Si je le sauve, ce n’est pas pour sauver « une vie », mais pour sauver la même vie que la mienne. En maintenant la possibilité de l’existence d’autres vies, je maintiens ma propre vie. Je suis intimement lié aux autres. Ce lien par lequel on s’identifie à autrui s’éprouve au quotidien, mais aussi à travers certaines expériences fondatrices. Dans son article « Réflexions sur la guerre d’Espagne » (1942), Georges Orwell raconte comment il a soudainement renoncé à tirer sur un ennemi de l’armée adverse, dans le cadre de la guerre civile espagnole (1936-1939), à laquelle il avait participé comme soldat. « [Cet] homme, se souvient Orwell, devait probablement porter un message à un officier, jaillit de la tranchée et se mit à courir, complètement exposé, sur le sommet du parapet. Il était à moitié habillé et, tout en courant, retenait son pantalon avec ses mains. » Et l’auteur d’en conclure : « Je m’abstins de tirer sur lui […] si je n’ai pas tiré, c’est en partie à cause de ce petit détail du pantalon. […] Un homme qui retient son pantalon à deux mains n’est pas un “fasciste” : c’est manifestement un semblable, un frère, sur lequel on n’a pas le cœur de tirer. » La vulnérabilité soudainement dévoilée d’un autre homme – devenu alter ego – crée une identification. Parce que le soldat prend conscience de la proximité qu’il entretient avec cet autre : il renonce à le tuer. Nous avons l’humanité en partage La formule « une vie égale une vie » se concentre sur la vie en elle-même, plus précisément le fait d’être en vie. Mais ce n’est pas seulement la vie qui nous relie entre nous, mais la possibilité de parler, de communiquer cette vie, et donc de permettre à autrui de se mettre à notre place. Là où Butler prend le critère très large de la vie en général, le philosophe Francis Wolff défend la valeur de la vie en ceci qu’elle est humaine. C’est selon lui notre humanité qui nous permet d’envisager l’autre non comme une altérité radicale, mais comme un autre soi-même. Notre valeur humaine provient selon Wolff de notre faculté de raisonner. Cette raison n’est pas la raison sèche, individuelle, mais la raison « dialogique », à savoir la raison qui nous permet de nous adresser à quelqu’un, de parler avec lui – de le comprendre et d’accéder à son point de vue. « Dans le monde de la raison dialogique, tout être humain vaut tout être humain », affirme ainsi le philosophe dans son essai La vie a-t-elle une valeur ? (Philosophie magazine Éditeur, 2025). “Dans le monde de la raison dialogique, tout être humain vaut tout être humain” Francis Wolff   Non seulement nous sommes égaux en tant qu’êtres humains, mais nous sommes capables d’expérimenter cette égalité, d’en avoir conscience. C’est ce que Wolff appelle « le principe de réciprocité », qui nous invite « à nous mettre à la place de tous ceux à qui nous pourrions nous adresser ». Cette faculté de projection nous permet de contrôler nos propres actions. Quand nous agissons mal, quand nous blessons quelqu’un, nous sommes capables de nous en rendre compte en adoptant « sur notre propre action “le point de vue de toute part” », écrit Wolff. « Une vie égale une vie » est donc aussi une maxime dont nous avons tous universellement conscience, en ceci même que nous sommes humains. Wolff en conclut : “C’est cela l’humanité. Ce n’est pas un sentiment exceptionnel. Non. C’est l’humanité sise en tous les êtres humains. La communauté virtuelle des personnes vivantes ou à venir est bien une communauté morale, et c’est la seule possible” Francis Wolff, La vie a-t-elle une valeur ? (2025) Si l’on revient à la formule d’Emmanuel Macron lors de la reconnaissance de l’État palestinien par la France dans l’enceinte de l’ONU à New York, on peut donc estimer qu’elle contribue à amorcer la reconnaissance de cette « humanité sise en tous les êtres humains », peu importe son lieu de vie ou sa nationalité. Encore reste-t-il à faire en sorte que cette expression « une vie égale une vie » ne soit plus seulement un vœu pieux mais une réalité concrète. octobre 2025
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La crise ou la stase ?
La crise ou la stase ? hschlegel mer 08/10/2025 - 17:32 En savoir plus sur La crise ou la stase ? « Politique, économique, institutionnelle : la crise semble omniprésente… Mais sommes-nous vraiment dans un régime de crise ?  [CTA1] ➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite. C’est la grande fatigue ! Le scénario semble digne d’une série à rebondissements depuis que Sébastien Lecornu a remis sa démission, avant de mener de nouvelles négociations sous ultimatum du président, qui menace lui-même de “prendre ses responsabilités” en cas d’échec. Tremblez… En réalité, l’histoire semble suffisamment répétitive pour lasser, après des mois d’atermoiements, à la recherche d’un gouvernement voire d’une politique. Peut-on parler de crise sans fin ? L’idée de “permacrise”, de crise permanente, s’avère contradictoire. La krisis désigne en effet, étymologiquement, un moment de décision, de séparation, qui permet de trancher. La crise pour les Grecs est salvatrice : elle met un terme à un moment de confusion. La crise d’adolescence nous fait par exemple sortir de l’enfance pour entrer dans l’âge adulte, avec plus ou moins de bonheur. Progressivement, le mot en est cependant venu à désigner non la tension vers la résolution, préparant sa sortie, mais le chaos lui-même. Pour Paul Ricœur, la crise contemporaine renvoie ainsi à un flottement temporel et existentiel. Comme il l’analyse dans un essai sur la crise, repris dans Politique, Économie et Société, “lorsque l’espace d’expérience se rétrécit par un déni général de toute tradition, de tout héritage, et que l’horizon d’attente tend à reculer dans un avenir toujours plus vague et plus indistinct, seulement peuplé d’utopies ou plutôt d’‘uchronies’ sans prise sur le cours effectif de l’histoire, alors la tension entre horizon d’attente et espace d’expérience devient rupture, schisme”. Bref, la crise contemporaine s’engouffrerait dans l’abîme creusé entre déstabilisation et immobilisme, entre le présent qui se dérobe et l’avenir qui s’efface. Crise de régime ou régime de crise ? La crise contemporaine renvoie donc à l’indécision. Elle ne présente pas d’issue. “La perte des repères du jugement, l’épuisement des réponses traditionnelles quant aux orientations vers l’avenir, l’intensification de l’accélération, la perception d’une incertitude portée à un point extrême : ces caractéristiques affectent la quasi-totalité de notre expérience contemporaine”, précise la philosophe Myriam Revault d’Allonnes dans La Crise sans fin. Essai sur l’expérience moderne du temps (2012). “Nous sommes fondés à nous demander – sans pouvoir y répondre de façon satisfaisante – si elles marquent un seuil d’époque ou si elles radicalisent et exacerbent le régime de crise qu’est structurellement la modernité.” De même, la crise que nous traversons, manifestée par la valse des gouvernements, prépare-t-elle l’émergence d’un nouveau monde – comme une sixième République ? Ou cette instabilité sans mouvement, où tout bouge sans que rien ne change depuis des mois, est-elle amenée à devenir notre condition ? Le cas échéant, nous pourrions nous inspirer des Grecs pour nommer l’époque. Dans La Cité divisée (1997), l’helléniste Nicole Loraux s’intéresse en effet à la stasis. Cette notion intraduisible désigne à la fois “agitation et immobilité”. Elle recouvre des “conflits immobilisés”. L’autrice le souligne : “D’un mot qui désigne l’immobilité stable, on passe à une notion qui implique désordre et confusion : la cité se divise, s’affronte à elle-même et, très vite, comme dans la mêlée homérique devenue furieuse, on ne sait plus à quel camp appartiennent les ennemis.” Mais curieusement, cette tentation de la guerre civile se trouve être aussi un “ciment de la communauté”. Car pour les Grecs, “ce qui paradoxalement unit […] pourrait bien être une certaine conflictualité”… à dépasser. Ainsi, “le politique dans son essence procèderait en ce sens d’un double processus, l’affirmation de la stasis et son refoulement”. Le monde grec n’est évidemment pas le nôtre. Néanmoins, avec “une pratique contrôlée de l’anachronisme”, selon l’expression de Nicole Loraux, ne peut-on pas se reconnaître dans cette situation politique “explosante-fixe”, celle de la stase (plutôt que de la crise), comme “ciment” paradoxal de notre communauté ? » octobre 2025
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Robert Badinter : “L’abolition de la peine de mort est un pari sur la nature humaine que je crois gagné”
Robert Badinter : “L’abolition de la peine de mort est un pari sur la nature humaine que je crois gagné” hschlegel mer 08/10/2025 - 15:00 En savoir plus sur Robert Badinter : “L’abolition de la peine de mort est un pari sur la nature humaine que je crois gagné” À l’occasion de la cérémonie pour l’entrée de l’ancien garde des Sceaux au Panthéon, ce jeudi 9 octobre, nous vous proposons de retrouver les entretiens qu’il nous a accordés au fil des années, où il revient avec force sur les arguments philosophiques contre la peine de mort ainsi que sur la capacité des hommes à conserver leur dignité face au mal. Mais aussi sur sa rencontre avec le philosophe Michel Foucault. [CTA1]   Foucault, Beccaria, Rousseau, Arendt… Quand Robert Badinter (1928-2024) portait la contradiction aux philosophes : “La justice ressemble à un théâtre, sauf qu’au tribunal, le dénouement n’est pas écrit à l’avance” : pour l’ancien ministre de la Justice, la conscience morale “a la force d’un tribunal” Entretien exceptionnel : comment fonder philosophiquement l’abolition de la peine de mort ? In memoriam : Badinter parle de son camarade Michel Foucault, aux côtés de huit intellectuels octobre 2025
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Avec les réseaux sociaux, l’homme est devenu un “troll” pour l’homme
Avec les réseaux sociaux, l’homme est devenu un “troll” pour l’homme hschlegel mer 08/10/2025 - 12:00 En savoir plus sur Avec les réseaux sociaux, l’homme est devenu un “troll” pour l’homme Sous les traits de Donald Trump, du militant masculiniste, pro-Poutine ou néo-féministe, le petit monstre de la mythologie scandinave est devenu un acteur central de l’espace politique à l’âge numérique où l’indignation supplante la raison et l’attaque remplace l’argument. Explications avec le philosophe Valentin Husson, qui vient de lui consacrer un essai, Foules ressentimentales. Petite philosophie des trolls (Philosophie magazine Éditeur). [CTA2]   ➤ Cet article est exceptionnellement proposé en accès libre. Pour lire tous les textes publiés chaque jour en exclusivité sur philomag.com, avoir accès au mensuel et aux archives en ligne, abonnez-vous à partir de 1€/mois.   Un spectre hante le monde : celui du troll. S’il fut d’abord une figure drôle, interrompant de manière impromptue un débat pour le tourner en dérision, en montrer la vanité et l’absurdité, il est aujourd’hui devenu un phénomène politique préoccupant et redistribuant les cartes des enjeux de pouvoir. Symptôme de notre époque, il raconte quelque chose de notre temps présent, de ses troubles et de sa radicalité. À chaque fois, qu’il soit idéologisé ou non, il manifeste le mal du siècle : celui du ressentiment. L’aigreur est telle qu’elle fait naître toutes les haines. Du troll le plus courant, inscrit désormais dans la pop culture, à ceux politiques, s’y intéresser, c’est faire le récit, en creux, du malaise fondamental de notre culture. ➤ À lire en accès libre : un extrait de Foules ressentimentales. Petite philosophie des trolls On pourrait brosser le portrait-robot du troll d’Internet dans sa dimension la plus commune : s’il est bien un être humain à part entière, sa photo de profil est souvent un animal ou un personnage mythologique. Il grogne comme ces personnages fantastiques ; il est ce que la nuisance sonore est à la musique. Il traîne sur les réseaux et les forums, toujours à l’affût du moindre mot équivoque qu’il pourrait venir soupçonner, souligner, pour alourdir le débat et irriter la communauté qui y dialogue. Il cherche à se faire remarquer, parfois en faisant marrer la galerie, parfois en horripilant celle-ci. Pour se rendre intéressant, le plus souvent, il souligne le peu d’intérêt de ce que nous disons. Il cherche à nous déstabiliser, à nous faire perdre notre sang-froid. S’il nous suit sur les réseaux, c’est pour nous poursuivre, ou nous hameçonner de son mot blessant. Incarnation de l’hostilité de la nature humaine, l’homme est, depuis l’invention des réseaux asociaux, un troll pour l’homme.  “Le troll manifeste le mal du siècle : le ressentiment. Il est l’expression du malaise fondamental de notre culture” Valentin Husson   Ce troll, inscrit dans notre pop culture, nous le connaissons tous, mais il peut prendre des visages plus singuliers ou spécifiques. Deux d’entre eux, qui captent l’attention et qui naissent d’une même radicalisation du débat, nous intéresseront. Celui politique – avec le cas de Trump – et ceux qui, au cœur de ce grand trolling mondial, s’y affrontent comme deux meilleurs ennemis cristallisant le populisme trumpien : le troll néo-féministe et masculiniste.  De quel trolling Trump est-il le nom ? Ses effets d’annonce consistent à créer le scandale, à choquer l’opinion publique pour capter l’attention. Son élection en 2016 et en 2024 tient, pour une part, à ce troll constant. Partant du principe : qu’il n’y a pas de mauvaise publicité, Trump considère que l’essentiel est qu’on parle de lui, qu’importe si ses propos sont farfelus, fallacieux ou mensongers. Sa coupe de cheveux elle-même, son teint orangé sont à eux seuls des modes de trolling spécifiques qui portent à la caricature, c’est-à-dire à la diffusion massive de l’image de Trump. S’il est un piètre politique, il est un incontestable génie de la communication. Et cette manière de faire a des rejetons désormais : une armée entière de trolls est derrière lui et a, sur le web, lancé notamment des campagnes de déstabilisation des différents candidats qui lui étaient opposés. L’ancien troll – qui visait la provocation – rencontre le nouveau troll : celui de la manipulation de masse. Ses coups d’éclat médiatiques influencent l’opinion : son populisme est une manipulation du collectif. “Le troll traîne sur les réseaux et les forums, toujours à l’affût du moindre mot équivoque qu’il pourrait venir soupçonner, souligner, pour alourdir le débat et irriter la communauté qui y dialogue” Valentin Husson   La trumpisation du monde, largement soutenue par son premier supporter Elon Musk, est une vaste tromperie du monde. Toute chose est transformée en événement, et nommément en événement médiatique. Trump fait de la politique comme l’on crée une série : l’intrigue est construite à partir de péripéties, et on la suit d’épisode en épisode. Les images et les paroles ont plus de poids désormais que les actes. Quand dire, c’est faire ; ou quand faire une image, c’est agir.  En anglais existe le terme, difficilement traduisible en français, de gaslighting. Littéralement, l’« illumination au gaz » : le délire causé par l’inhalation d’un produit qui nous fait perdre les esprits et déforme la réalité. Ce concept désigne le fait de manipuler mentalement quelqu’un en lui donnant une information erronée ou fausse, afin de le faire douter de sa mémoire ou de sa perception du réel au profit de l’abuseur, qui renforce là son autorité. Le gaslighting est donc une utilisation de l’infaux à des fins manipulatoires.  Avec la réélection de Trump, un nouveau courant est arrivé au pouvoir : le masculinisme. Ce courant se définit par sa misogynie, son antiféminisme, son virilisme et son caractère androcentré et réactionnaire. Les hommes masculinistes regrettent les temps passés où l’homme était au centre de la société et du foyer et où la femme – subalterne – en était la bonne à tout faire. Ce mouvement a pour corollaire celui des « Trad Wives » dans lequel des femmes, en accord avec ce masculinisme, revendiquent le droit et le devoir de revenir aux valeurs traditionnelles de domesticité. Ce masculinisme est une part importante du trolling contemporain : les hommes cherchent querelle aux femmes en ravivant des positions réactionnaires et une distribution inégalitaire des places dans la société. La femme aurait comme place celle de la femme au foyer aux petits soins pour son mari ; et l’homme aurait comme position celle de ramener l’argent à la maison et de faire vivre la famille. “L’ancien troll – qui visait la provocation – rencontre aujourd’hui le nouveau troll : celui de la manipulation de masse” Valentin Husson   D’où viennent-ils, ces trolls masculinistes ? Ils sont une réaction au mouvement #MeToo. Ces hommes, blessés dans leur virilité par un mouvement féministe qui dénonce les violences dont elles sont victimes par des mâles se croyant tout permis, ont trouvé refuge dans une idéologie réaffirmant leur puissance. La lutte des classes a été remplacée par une lutte des sexes ou des genres. La fêlure narcissique a dû être compensée par un surjeu de l’identité masculine : il faut pousser de la fonte, manger beaucoup de viande, renouer avec la primitivité du chasseur, en revenir à la cruauté qui a toujours été l’apanage du chef de tribu, reprendre un ton guerrier et se préparer à une guerre prochaine.  Il ne faut pas mésestimer – pour être juste, c’est-à-dire pour penser avec justesse – que le phénomène du trolling a aussi été féminin durant toute la période de #MeToo : les accusations ou les rumeurs sans autre forme de procès colportées sur les réseaux – le fameux tribunal médiatique – ont participé au ressentiment ambiant. Toute révolution a sa radicalité, mais toute révolution entraîne toujours sa contre-révolution. Et le masculinisme est la restauration de l’ordre ancien en réponse à l’angoisse et au trouble de l’identité que certains hommes ont pu ressentir intimement. S’il n’y a pas de relation de cause à effet, il y a bien une lame de fond où le néo-féminisme entre en écho – et inversement – avec le masculinisme. Ce sont en tous les cas ces deux discours qui s’écharpent et s’escriment en commentaires des réseaux sociaux. Ils se répondent, parce qu’ils correspondent au même esprit du temps dont ils sont la manifestation : une fracture politique prenant alors celle d’une scission entre les genres, et une extrémisation des positions de chacun.  Toutes ces manifestations font apparaître que le troll est le nom d’une radicalisation inquiétante qui traduit le symptôme de notre temps. La raison se dissipe au profit de l’indignation ; et l’argument au profit de l’attaque. Le dissensus a remplacé le dialogue. Le troll – de celui des réseaux à Trump, en passant par les néoféministes et masculinistes – est l’esprit de notre temps, notre Zeitgeist.   Foules ressentimentales. Petite philosophie des trolls, de Valentin Husson, vient de paraître chez Philosophie magazine Éditeur. 216 p., 19,50€, disponible ici. octobre 2025
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Catherine Malabou : “Face à l'extrême droite, il est possible d’élaborer une certaine plasticité insurrectionnelle dans les marges du pouvoir” www.philomag.com/articles/cat...
Catherine Malabou : “Face à l'extrême droite, il est possible d’élaborer une certaine plasticité insurrectionnelle dans les marges du pouvoir”
Catherine Malabou : “Face à l'extrême droite, il est possible d’élaborer une certaine plasticité insurrectionnelle dans les marges du pouvoir” nfoiry mer 08/10/2025 - 08:00 En savoir plus sur Catherine Malabou : “Face à l'extrême droite, il est possible d’élaborer une certaine plasticité insurrectionnelle dans les marges du pouvoir” Dans notre tout nouveau numéro consacré à l’engagement, nous avons demandé à cinq penseurs ce qu’ils et elles feraient si le Rassemblement national arrivait au pouvoir en 2027. Inspirée par la tradition anarchiste, la philosophe Catherine Malabou prône une désertion active, qui devra se donner pour but de créer des lieux parallèles d’échange et de diffusion des savoirs. [CTA2] « Si vous m’aviez posé la question avant les élections de 2022, je vous aurais peut-être répondu que j’aurais songé à quitter la France pour aller vivre aux États-Unis, où j’enseigne régulièrement. Mais les États-Unis ne me paraissent plus un refuge, leur situation est même pire. Partir, certes, mais pour aller où ? À l’issue d’un long processus de décomposition démocratique, le monde est en train de sombrer dans l’autoritarisme et le fascisme, tandis que les politiques xénophobes se multiplient. Dans ce contexte, que faire ? J’avoue que je ne crois pas tellement aux instruments classiques de la lutte politique, aux partis et aux syndicats. Par contre, la tradition anarchiste enseigne qu’il est possible d’élaborer une certaine plasticité insurrectionnelle dans les marges du pouvoir. Concrètement, je pense que les associations loi de 1901 sont de bons outils pour mettre en place des réseaux de vigilance mais aussi pour venir en aide aux personnes qui vont être visées par les politiques d’extrême droite, comme les sans-papiers ou les immigrés. Je pense donc que je participerai activement à des initiatives d’entraide associative. Le second point qui me paraît important, c’est de désinvestir les institutions cooptées, c’est-à-dire de refuser systématiquement de participer aux organisations ou aux événements pilotés par le RN. J’appelle à une désertion active, qui devra se donner pour but de créer des lieux parallèles d’échange et de diffusion des savoirs. Les penseurs anarchistes m’accompagnent et ne cessent d’alimenter ma réflexion politique, notamment Kropotkine pour l’entraide et Proudhon pour la défense des communs. Cependant, je dois remarquer que les extrêmes droites contemporaines, notamment le RN et Donald Trump, empruntent beaucoup à la tradition anarchiste. Chez eux, cela donne le libertarianisme, la volonté de limiter l’État à ses fonctions régaliennes, le congé donné aux fonctionnaires – mais également l’ubérisation généralisée de la société, l’idée que chacun peut devenir son propre entrepreneur. La gauche se refuse à faire la critique de la démocratie parlementaire, et l’extrême droite ne craint pas de le faire, comme autrefois les anarchistes. Cette situation rend la lutte plus difficile. Prenez un mot comme “liberté” ou “liberté d’expression”. Un sympathisant d’Elon Musk ou de Marine Le Pen pourront vous dire qu’ils les défendent. En fait, il faut faire la distinction entre l’anarchisme individualiste, comme style de vie, et l’anarchisme socialiste, fondé sur la coopération et l’entraide. Il faut toute une pédagogie en philosophie politique pour faire comprendre que l’anarchisme n’est pas le chacun pour soi mais une façon différente de faire société. » octobre 2025
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