La chronique de Vinciane Despret - Dans la peau d'un faux bourdon
... la philosophe Vinciane Despret vient se plonger tous les jours dans la peau d’un animal. Aujourd'hui, dans la peau d'un faux bourdon.
Mercredi 1 mars 2023
"Les abeilles, les abeilles, il n’y en a que pour elles. Vous ne les trouvez pas un peu suspectes toutes ces descriptions dans lesquelles seules les femelles sont actives, où elles seules ont une vie sociale intense, où elles seules semblent avoir de véritables projets, travaillent et participent à l’économie collective ?
Vous ne pensez pas qu’il y a là comme un problème idéologique quant à la question de l’égalité des genres ?
Vous pouvez ouvrir tous les manuels, lire tous les articles scientifiques, à quelques louables exceptions près, vous y découvrirez que nous, les mâles, nous ne faisons rien. Rien. Et nous devons nous entendre dire que nous sommes des paresseux inutiles, nous ne construisons rien, nous ne butinons pas, nous ne nettoyons pas la ruche. Et pire encore, il semble que nous soyons incapables de nous nourrir, que nous pillons le miel et que nous nous servons allègrement dans les réserves de nectar. Piller : vous voyez déjà le vocabulaire ?
On nous décrit comme des écornifleurs impénitents. Ce qualificatif d’écornifleur pourrait pourtant rappeler que nous nous y connaissons en matière de fleurs : quelques âmes charitables, sans doute un peu plus soucieuses de justice et d’égalité, ont quand même signalé que si nous ne butinons pas, il nous arrive de renseigner les abeilles sur les lieux les plus gourmands de butinage.
Aussi, on oublie un peu facilement que nous maintenons constante la température de la ruche, que nous la ventilons et que notre présence est bien plus efficace que celles des ouvrières pour apporter de la chaleur.
Bien sûr, le premier biologiste venu pourrait rappeler que sans nous, sans notre constante et ardente dévotion à l’accouplement, sans les heures passées à guetter la reine dans les zones de rendez-vous, sans les poursuites avec des centaines de rivaux tous plus motivés les uns que les autres. Et ben plus d’abeilles.
Sans oublier le sacrifice, puisqu’on ne peut pas appeler autrement le fait que toute copulation réussie équivaut pour nous à une émasculation complète qui nous laisse à moitié éventré et donc raide mort, eh bien sans tout cela, il n’y aurait plus d’abeilles. En fait, je préfère ne pas évoquer cet argument. Pas parce que c’est une histoire qui finit mal ; mais parce que cela laisse entendre que nous ne serions bons qu’à cela ! Charmante réputation. Si on vous demandait votre nom et votre rôle dans le grand jeu de l’évolution et que vous deviez répondre : faux bourdon et fournisseur de spermathèque volante : voilà votre vie résumée sous le double sigle de falsificateur d’identité et de machine à fabriquer des gosses.
Comme si le sexe constituait notre seule et unique préoccupation. On pourrait quand même rappeler à cet égard que les mâles des abeilles solitaires sont encore plus obnubilés que nous. Il suffit de les voir se trémousser dans les orchidées pour se faire une idée de ce qui est en train de se passer. Ces obsédés du sexe se laissent leurrer par l’apparence de la fleur, qui, je dois le reconnaître, imite assez fidèlement l’image de l’objet de leur désir et qui, en outre, ultime perfidie, envoie des phéromones similaires à ceux de la femelle. Mais, entre nous : je ne suis pas du tout certain qu’ils se laissent leurrer. Quand on voit l’enthousiasme avec lequel ils copulent avec la fleur, on pourrait se demander qui est la dupe de qui. C’est sûr qu’ils y trouvent leur compte.
Bref, tous ces préjugés à notre égard exhalent un vieux parfum de morale surannée. On ne devrait quand même pas oublier que ces abeilles sont parmi les dernières espèces partisanes de la monarchie. Quant à ces ouvrières si vertueuses, toujours au labeur, on nous l’aura assénée celle-là. Mais regardez-les, que font-elles ? Oui, bien sûr, du miel et de la cire. On comprend d’où peut venir cette forme de scandaleux favoritisme de la part des humains à leur égard. Mais le reste du temps ? Elles dansent. Voilà qui fascine les scientifiques : les femelles dansent ! Elles frétillent, se trémoussent, dessinent des cercles et des huit. Mais, franchement, c’est ça que l’on considère comme un modèle édifiant de vertu ?"
Sources d’inspiration :
• pour le leurre des orchidées et les abeilles solitaires mâles et l’idée que le leurre n’est peut-être pas total : Carla Hustack et Natasha Muyers, Le Ravissement de Darwin, La Découverte, 2019.
• sur la méconnaissance des faux bourdons : M. Reyes, D. Crauser, A. Prado et Y. Le Conte « Flight activity of honey bee (Apis Mellifera) drones », Apidologie, 2019, 50 :669-680.
• et : https://www.buzzaboutbees.net/dronebee.html
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ndé
confusions possibles
"Un faux bourdon est le mâle de l'abeille. Il est important de le distinguer du bourdon en tant que tel, un animal différent, du genre Bombus. Le faux bourdon est le produit de l'éclosion d'un œuf non fécondé. Contrairement à l'abeille ouvrière femelle, il ne possède pas de dard et ne récolte ni nectar ni pollen." (Knowledge Graph)
Source : Wikipédia
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Un faux bourdon (parfois appelé aussi abeillaud[1] ou bourdon[2]) est le mâle de l'abeille. Il est important de le distinguer du bourdon en tant que tel, un animal différent, du genre Bombus. Le faux bourdon est le produit de l'éclosion d'un œuf non fécondé. Contrairement à l'abeille ouvrière femelle, il ne possède pas de dard et ne récolte ni nectar ni pollen. Avant toute chose, son rôle consiste à s'accoupler avec une reine fertile lors du vol nuptial, auquel il ne survit habituellement pas.
Faux bourdon — Wikipédia [version du 26 novembre 2025]
https://fr.wikipedia.org/wiki/Faux_bourdon
image : Faux bourdon en vol.
Waugsberg — Photographie personnelle
Drone of western honey bees in flight